How I caught the elusive unicorn - récit du Marathon de Boston 2009
Pourquoi ?
Tout au début des années 80, avant même que le marathon devienne une discipline olympique pour les femmes (1984), je suis tombé sur un livre qui décrit le parcours de ce marathon légendaire ainsi que les quatre victoires de Bill Rodgers. Ceci m’a donné l’envie de faire Boston un jour. Envie, n’est pas le mot qui convient, non, toute gamine j’ai été certaine que j’allais prendre le départ à Hopkington pour apprivoiser Heartbreak Hill.
La prépa
Le passage à l’acte est plus compliqué par contre : la peur de détruire un rêve et ne pas savoir quoi faire après m’ont empêché de faire ce pèlerinage pendant des longues années.
Suite à un coup de tête après le marathon de Nice-Cannes couru tranquillou (mais quand même dans les temps qualificatifs) je m’inscris, enfin. Je me mets immédiatement à bosser mes cotes, les montées et surtout les descentes. Les réservations d’hôtels, d’avion et de train sont faites mi-novembre 2008 (quatre jours de Boston, ensuite quatre jours à NYC) et l’entraînement spécifique commence fin janvier avec quelques sorties longues et plus spécifiquement mi-février avec un programme contenant de la VMAC le mardi, de l’allure le jeudi, du seuil/VMAL le vendredi, une séances de cotes le samedi et une sortie longue vallonnée (avec allure spé en sortant des cotes et maxi vitesse dans les descentes) de 2h30/40 le dimanche (plus court que d’habitude : une seule sortie longue dépassera les 3 heures.) En moyenne 95 km parcourus par semaine et une séance de kiné pour (ou plutôt contre) mon syndrome rotulien. Une semaine passée au ski de fonds début mars ; idéale pour travailler l’endurance fondamentale sans trop fatiguer les tendons vient compléter l’entraînement. Trois semaines avant un semi marathon avec une belle bosse courue à l’allure marathon agit de test. Une fois l’entraînement réglé c’est l’obsession de la météo qui prend le dessus : en fait la météo est toujours assez extrême en avril (surnommé la « cinquième saison » en Nouvelle Angleterre) – ces cinq dernières années les marathoniens ont du affronter une tempête de neige et 32°C l’année suivante. Et pour moi ça sera pareil : Windguru annonce un vent de Nord Est, 4 beaufort allant jusqu’à 5 voir 6 en rafales. Et Windguru aura raison. Dommage que le parcours part du Sud – direction Nord-Est. 42km de vent de face.
Juste avant la course
On attérit vendredi aprem à Boston, passage à l’Expo Marathon,“wow you came all the way from France here – welcome to the Boston Marathon”. Nous sommes les bienvenus ici, tout au long du week-end on nous assure cela. Ensuite dîner avec mes anciens collègues étudiants du CFA. Samedi très calme, mini footing de vingt minutes, ensuite on prend le thé avec un très bon ami qui court également le marathon pour une charité qui me tient à coeur le Kilimanjaro Blind Trust.
Dimanche matin re mini footing, je reste dans la chambre toute la journée et le soir on sort dîner avec mon amie Marion qui vient d’arriver de Paris pour vivre cette aventure avec moi. Photo rapide sur la finnish line qui est à 200m de l’hôtel.
Juste avant le départ
Le grand jour : réveil tôt, trois bagels (pas de gatosport manque de four, une erreur monumentale). Arrivée à 6h50 au parc de Boston Common je rejoins la longue file d’attente pour embarquer dans les " school bus " jaunes qui nous amèneront à Hopkington, ville où aura lieu le départ. Ca avance doucement, l’attente et l’excitation sur les visages des athlètes est bien visible. Il fait un froid de canard, zéro degré, du soleil et un fort vent venant du nord-est. Je n’ai pas froid, j’ai mit suffisamment de couches pour faire du ski. Bcp se gèlent et la foule reste très dense pour faire face au vent qui nous fouette (pensez aux pingouins sur une banquise). 40 minutes plus tard je monte finalement dans un bus.
C’est parti, on longe d’abord le Charles River ensuite on part sur l’autoroute,
…Newton, Wellesley, Natick, Framingham (les noms me sont connus, ils font parti du parcours que j’ai appris par cœur), Marlboro – hein, quoi ? je ne suis pas la seule qui se pose la
question, au bout de quelques miles dans le mauvais sens les gens se révoltent et force le chauffeur qui s’est trompé de chemin de faire demi tour. On gagne une demie heure au chaud – c’est pas
si mal que ça. Et après tout mon bus à NYC c’est déjà paumé, ça doit être moi. Comme prévu, j’ai vidé ma bouteille avec la boisson d’attente pile poile à 9h, 90 minutes avant le départ, plus de
fluide d’ici le départ, je commencerai à boire de l’Hydrixir pendant les cinq premiers km du parcours.
On rentre finalement dans Hopkington, un village perdu au milieu de nulle part, les forets autour ressemblent à Fontainebleau avec leur gros cailloux mais les arbres ne sont pas les mêmes.
Notre bus fait la queue avant de pouvoir nous décharger, les athlètes qui sont dans la première vague commencent à s’impatienter et veulent sortir – leur départ est dans moins d’une heure et l’attente devant les toilettes est aussi légendaire que le Marathon lui-même (au moins 45 minutes). Mais le chauffeur n’a pas le droit de nous lâcher. Une fois notre tour de sortir un petit groupe bien hydraté s’échappe – au lieu d’aller directement dans le village d’athlètes on galope dans la direction de la foret ou sont postés des militaires et policiers pour faire attention que des coureurs ne font pas ce qu’on est en train de faire. Gloups. J’échappe de très peu à un policier (et oui, je cours plus vite que bibendum) mais la dame derrière moi s’est fait verbalisée. Au moins je suis tranquille maintenant.
Je rejoins le village, bcp de monde, partout, des files d’attente interminables devant les WCs, ça sent le musclor, le stress pré-départ, le Gatorade qui colle par terre et les haut parleurs rejettent sans cesse les instructions : « Wave One au depart », « Wave Two restez là ». « Wave One, direction les silos, maintenant ! GO ! » « Wave Two ne bougez pas. » « Wave One vous étés en retard. Grouillez vous. » « Wave Two, couché, panier. » Pff, pire que le village du Mara de NYC. A ce tarif là je ne suis pas prête à faire le marathon des Marine Corps :-(
Zen et focus. Je vise directement les busses de bagages pour la seconde vague,
étale mon Wall Street Journal par terre, couvre le tout avec une bâche, un pull sert d’oreiller et me pose par terre sur la banquise entre une canadienne et un troupeau de brésiliens. Je
caresse le museau du chien policier qui cherche des explosifs, mon sac ne l’intéresse pas.
Le tout premier départ (9h30) des coureurs (femme élite) sera dans quelques instants comme on peut l’entendre dans les haut parleurs. L’hélico nous survole, généralement ça me fait monter l’adrénaline, là ça me fait rien ; je suis roulée en boule sur mon îlot en train de me reposer et me concentrer. Le chien repasse. Les brésiliens font bcp de bruits, ils ont l'air rapide mais des dossards très élevés : probablement passé par un tour operator. Dommage. Ma voisine me parle, on papote, elle vient du Canada, a fait Kelowna (où vit ma tante) pour faire sa qualif. Peu profond comme discussion. Elle a un dossard dans les 19000. Machinalement je commence à me préparer, mettre les gels dans les poches, scotcher d’autres gels sur mes avant bras, je fixe mon dossard sur le maillot et un carton avec un petit « NINA » au dessus du dossard. Manche longue et corsaire, il fait tjrs froid, je préfère avoir un peu trop chaud – surtout ne pas perdre de l’énergie (bon choix -j’aurai jamais trop chaud pendant le parcours). Je fixe mon petit pense bête avec les temps de passage pour 3h35 sur mon dossard (sur le dos il dit « the Lord is my Helper, I will have no fear »), une casquette Red Sox blanche vient compléter mon uniforme. Ma voisine observe chacun de mes gestes et pose cinquante et une questions « et pourquoi ? ». Il est temps, les instructions nous encouragent à se bouger.
J’enlève trois couches et ne garde qu’un t-shirt et un sac poubelle ainsi qu’un vieux jogging (pantalon coupé et recousu pour pouvoir l’ouvrir facilement sans enlever les chaussures à la dernière minute). Je rassemble mon igloo et tout part dans le bus à bagages. Bizarrement zéro stress de mon coté. Curieux, juste une autre course ? Ou juste confiante…
Direction départ. Le départ a lieu à environ un kilomètre du village d’athlètes, on traverse Hopkington, partout il y a des barbecues en cours, les habitants nous proposent de l’eau, des oranges, nous prennent en photos. Très gentil mais j'ai l impression d’être un singe du mauvais coté de la grille. On est séparé par des grilles et des policiers et militaires font attention qu’il n y ait pas d’autres incidents comme dans la foret.
Le stress est visible sur les visages des coureurs, des mois d’entraînement, bcp de galères pour se qualifier. La première vague de masse et les élites homme partent à 10 heures et avec eux
l’hélico.
Pffff. Et nous ? On compte pour du beurre ? bon, dernière file d’attente de dix minutes pour les WC, quelques étirement et je pars dans la direction de mon sas, 17. Entouré par des coureurs qui ont fait comme moi 3h44 comme qualif j’essaie et réussi à me poster sur directement derrière la corde qui sépare les sas. Va falloir doubler (si seulement j’avais su qu’on sera organisés par temps qualificatifs, je n'aurais pas fait Nice-Cannes en mode balade) Pfff
Cinq minutes jusqu’au départ annonce l'haut-parleur, pas de musique, pas de Chariots de Feu, rien, le charme d’un compte à rebours de la NASA. Zéro émotion, quatre minutes, j’enlève mon sac poubelle. Trois minutes, je déchire la couture sur mon pantalon et le pose avec mon t-shirt dans la poubelle pour les fringues qui partent chez Emmaus. Deux minutes, prière rapide, je refais un quatrième nœud sur mes lacets. Une minute, je regarde droit devant, trente secondes, quinze seconde, dix secondes, ignition. Le lâché d’escargots. On bouge doucement, je franchis la ligne de départ à 10h31min19sec et on part doucement, trop doucement. Ça descend sauvagement, on dirait une piste de ski. La foule est dense et elle bouge à 5min20 au kilo. Non mais. La foule des spectateurs est dense également, nous hurlent dessus (ils ont pas de télé ces gens pour venir voir la deuxième vague d’un marathon partir qui ne contiennent que des escargots et des athlètes de bas niveau de mon genre ?) ben c’est gentil quand même, je ne vais pas me plaindre. Ils sont fantastiques ces américains – s’enthousiasment comme des gosses pour un rien. En dessous de moi des milliers de coureurs à des kilomètres. Une image très forte.
La course
Au boulot Bambi ! Pas là pour contempler la verdure. Je commence à doubler. Pas simple mais faisable. Ca descend tjrs. Je prends des petits pas, tout sur l’avant des pieds, hop hop hop. Faut rester souple. Le vent tire sur ma casquette, mon corps reste protégé par la foule dense. Je me cale sur 4min50 sur mon Suunto, tranquillou, ça fera 5min/km en réalité une fois les ralentissements pour ravito et foule inclus. Je suis prête pour le plus ancien marathon du monde.
On a droit à deux avions chasseurs et ça fait plaisir aux coureurs américains, moi j’ai juste peur (depuis qu’un Mirage s’est planté dans notre jardin dans les années 80 - mais c’est une autre histoire).
Km 5, passé en 25min02, ça témoigne du départ hyper lent. Premier gel au 5ème kilo, la bouteille de l’Hydrixir est vide. J’applique le protocole à la lettre, zéro improvisation. Mon amie Agnès m'a rappelé dans son dernier mail reçu ce matin que je dois bien gérer ma course. D'accord chef.
On arrive à Ashland, après quatre miles de pure descente une mini cote, assez pentue. Ca fait du bien aux jambes, je garde mon rythme. Si seulement le vent pourrait nous lâcher un peu, j’aurais préféré de la pluie.
Les ravitos sont hyper bien organisés : tous les miles il y a de l’eau et du gatorade électrolyte, d’abord à droite, ensuite à gauche, les bénévoles sont hyper nombreux, nous tendent les gobelets, aucun ralentissement (je ne me serai pas arrêté une seule fois pendant les 42km), en gros j’arrive à attraper le gobelet et à boire à 5min10sec au kilo. Un nouveau record. Excellente organisation, chapeau. J’espère que j’aurai réussi à remercier chaque fois – c’était au moins mon intention. Les coureurs sont hyper pro, pas de ralentissement, pas de carambolage au ravito, tout le monde est efficient et conscient qu’on est sur le chemin pour Boston.
Les miles 5 et 6 sont encore en descente, on arrive à Framingham. Bcp de monde à nous encourager. Ca sent la saucisse grillée. Le 10km est franchi en 49min26. Le point d’intérêt principal ici est la gare, un train nous accompagne avec bcp de voyageurs qui nous saluent et nous font des coucous. Nous ne risquons rien, les premières éditions du marathon par contre ont souvent été perturbé par des passages du train qui suit le parcours tout le long.
Je double des « copines » de mon Boston forum RWOL, c’est Kari, Lisa et Jenny, elle portent le signe « HTFU » (harden the f*ck up) du forum, comme je n’ai pas de signe distinctif je me fais pas connaître, je leur enverrai des messages sur Facebook à mon retour en France. No time to lose, gotta go.
Trois miles jusqu’à Natick sans grand monde, enfin un peu de paix pour se rassembler et se concentrer. Un joli étang à notre gauche, quelques pécheurs. La foret est magnifique. Je franchis le 15km en 1h14min29. Régulier, un vrai diesel. Les kilomètres défilent sous mes jambes. Je suis dans la zone, en gros je perd un peu de mon coté analytique (souvent je ne suis pas très sure où je me trouve exactement mile 10, 12 ?) peu importe, je continue mon rythme.
A Boston les coureurs non-voyants courent avec guide, les chiens n’étant pas admis, j’en ai doublé facilement cinq, quel courage !
On rentre dans Natick, avec sa jolie tour de l’Horloge, du monde nous attend, nous tend de l’eau, encore des oranges, des kleenex. On me tiens régulièrement au courant du score des Red Sox qui joue simultanément contre je ne sais pas qui puisque avec ma casquette on me croit fan. Les Red Sox mènent 3-0.
Du 4min55 au chrono, tjrs. Faut pas se laisser emballer. Je me sens bien, les pattes sont légères, les jambes tournent toute seule malgré le vent. Je n’arrive plus à m’abriter, trop peu de coureurs.
On voit peu de coureurs avec des écouteurs, pourtant l’organisation nous a laissé le choix – en rappellent qu’ils sont contre mais qu’il n’y aura pas de disqualifications. Franchement se boucher des oreilles ici serait de se moquer du public tellement enthousiaste. Par temps il ne reste que deux trois mètres de large pour passer tellement nos « fans » s’approchent de nous le long du parcours. Entre Natick et Wellesley encore un tranchant sans trop de spectateurs, bcp de verdure, un lac pittoresque, du bacon grillé dans l’air. Je pousse contre ce vent.
Et voilà une rencontre remarquable : je double la légende Bill Rodgers, celui dont le livre m’a donné envie d’être ici. J’ai l’immense honneur de courir son marathon en même temps que lui. Apres avoir abandonné à cause de déshydratation en 1999 c’est après son opération d’un cancer de la prostate en 2008 qu’il refera un autre pèlerinage de Hopkington à Boylston Street avec nous. Il finira en 4h06, remarquable. Un héro pour toute une génération de marathoniens.
Je redescends de mon nuage et rentre dans la course. Gotta go, no time to lose.
Le 20km est passé en 1h39min52 et je suis à Wellesley, connu pour son College et ses étudiantes qui nous encouragent par milliers.
Elles sont super enthousiastes. Wow quel boost. J’entends mon nom, “go Nina go”, “looking good, go girl go”. Bcp les high five ou leur font des bisous. Je reste concentrée sur mon job du jour mais lève la main chaque fois j’entends mon nom. Les Red Sox mènent 4-0 et le vent souffle dans mes oreilles. Au semi (1h45min22) la moitié du parcours est parcouru mais plus que deux tiers de l’effort sont encore devant nous, les Newton Hills sont monstrueux.
Je double un athlète qui pousse sa bouteille d’oxygène dans un wagonnet devant lui, ça calme.
Pas de news des élites qui devraient être arrivés – on va dire qu’aucun des deux américains a gagné si personne n’en parle. Apres on apprendra que Kara Goucher s’est fait doublé sur la ligne d’arrivée par Salina Kosgei et Dire Tune (vainqueur en 2008 en 2h25) – seulement huit secondes entre la première et la troisième, elles auront mit 2h32 pour parcourir les 42km, le deuxième plus mauvais temps depuis l’histoire des féminines à Boston. Normal, le vent est mortel et pour nous, partis une heure plus tard ça sera encore pire.
En sortie de Wellesley un faux plat qui grimpe doucement, les coureurs sont encore plus éparses et je dois faire face au vent. C’est le dernier moment de repli avant Newton. Newton, situé au km 25 sonne le début des Newton Hills. Je ralentis un peu, secoue mes bras, mes jambes, essaie de relaxer épaules et mon dos, quelques mini économies d’énergie avant l’entrée en enfer. La course commence au mile 15. Un gel, de l’eau. Je me remémorise la cote de la foret de la St Cucufa, le travail fourni dessus. Confiance. Et c’est parti, deux cent mètres de descente à 6 pour cent suivi par le passage au dessus d’un pont et un bon kilomètre de grimpe. Faisable mais je reste prudente mais continue à doubler. On arrive à la Newton Fire Station, traverse un pont. Du plat, le ravito Powergel au 17eme mile, je la vois de loin mon amie Marion dans son t-shirt rouge Ecotrail qu’elle a littéralement survolé il y a quelques semaines seulement. Elle porte une casquette Red Sox bleue avec un B rouge. Je fais des grands signes pour qu’elle me repère. Elle me rejoint, quick « handshake » (enfin un peu plus perso quand même) et c’est parti, on fera le reste de l’aventure ensemble. Une autre bosse, on tourne à droite (c’est la première des trois tournures que le parcours prends et les deux autres sont sur le dernier kilomètre – parle d’une course « en ligne ») ensuite c’est plat et ça re-descend. Marion a jeté son beau t-shirt du Trail des Ecouves, c’est Emmaus qui va se régaler avec le joli cerf en vert dessus. Fashion made in France. Ca grimpe sec, quelques 750 mètres. On trottine tranquillou. Je reste prudente sur les cotes, trop prudente.
On double la Team Hoyt : père et fils, très émouvant de voir Rick et Dick sur ces cotes, bon courage à vous. C’est là où on se rend compte à quel point nous avons de la chance d’être en bonne santé et avoir comme seul souci un objectif de chrono.
Je n’ai pas envie de mon quatrième gel, mon estomac me signale « plein ». hmm, bon d’accord, c’était prévu mais vaut mieux pas tenter le diable ou mon estomac, si sage d’habitude.
La foule devient plus dense, une troisième bosse au mile 19, plus petite. Faux
plat, mini bosse. La foule reste dense. On passe au km 30 en 2h32min24, dans les temps. Et voici Heartbreak Hill. Gloups. Je sais que c’est en deux parties et qu’il ne faut pas regarder en haut –
on ne voit pas la fin, caché dans les arbres. Les encouragements de la foule sont fréquents, les visages des spectateurs graves, ils souffrent avec nous. Mes jambes sont tjrs étonnement légères mais
j’insistent à ralentir – surtout pas se brûler les ailes,
pas ici au km 31. Des tout petits pas, grande fréquence, et on tire sur les bras et on atteint le faux plat entre les deux parties de Heartbreak Hill, pfff et on souffle. Quelques pas plus loin
et voilà l’enfer : une piste de ski à monter, de plus ce vent qui nous ralentit mais grâce à Marion qui s’impatiente et la foule qui nous hurle dessus le sommet est
atteint.
Gotcha. Première impression : du vent en pleine figure, deuxième impression : un toboggan, ça descend à fond vers Boston College, youpiedou, je ne regrette pas d’avoir fait autant de cotes en montée qu’à la descente pendant mon entraînement. Sauf que le vent semble nous repousser vers le sommet. Même en poussant je n’arrive pas à atteindre 5min/kilo et ça en descente ! en fait le marathon de Boston n’est pas en marathon dans ou autour de Boston mais vers Boston et c’est à ce moment là que l’on en prend conscience. On aperçoit enfin la skyline de Boston mais je ne vois tjrs pas le signe Citgo Ca parait loin, vraiment loin. Gloups. L’impression de faire sur place contre le vent, je dois me trouver sur un tapis de course. Odeur de saucisse grillée.
La descente continue plus doucement mais le vent est devenu plus fort et nous ralentit. On longe Cleveland Circle, Coolidge Corner mais on n’a que d’yeux pour la skyline de Boston. Les encouragements continuent – les spectateurs semblent être gelés. Une « Tina » cours près de nous, on attend constamment « go Tina, go Nina », ça fait du bien mais n’aide pas contre les rafales qui nous fouettent. Km 35 franchit 2h59min47, les cotes et le vent nous a ralentit – 26min40 pour les derniers cinq km.
On croise les voies du chemin de fer pour la septième et dernière fois, ça grimpe un peu et j’essaie en vain de m’abriter derrière Marion. Je sens que l’on ralentit, enfin que je ralentis mais on continue à doubler malgré tout, le vent nous rend tous plus faible et lent. Mes jambes tirent enfin un petit peu mais moins que d’habitude. Je suis en autopilote, j’ai du mal à retenir où je me retrouve dans le parcours, mile 22, 23, 24 ? Mais j’avance d’un pas léger même si la fréquence est moindre. Beacon, aha. Km 40 franchit en 3h26min29 – houlà, sérieux ralentissement sur les cinq derniers km – 27 min. Flûte mais normal, on devrait faire de la planche à voile pas de la course à pied.
Enfin Fenway Park, le QG des Red Sox, ils ont gagné leur match. Je dois avouer
que je suis assez indifférente quant au sort des Red Sox à ce moment précis de la course. Il reste un mile. Tjrs pas de news des élites. Petites grimpette sèche et on est sur Commonwealth, une
des grandes artères vertes (deux allées avec une zone piétonne verte au milieu) dans le quartier Back Bay de Boston, je reconnais, ai fait mon footing ici la veille du mara. Un dernier moment de
silence et le bruit explose, la foule est déchaînée sur les deux cotés de la route, les policiers empêchent les spectateurs de franchir les barrières. On se sent comme des rock stars. Il
reste un kilomètre. Je sens que je n’ai plus aucune énergie, malgré la légèreté de mes jambes. Maintenant il va falloir s’accrocher, pas
défaillir maintenant. J’essaie de me projeter l’image de la finnish line dans ma tête pour faire passer ce moment. On tourne droite, petite grimpette, à ce moment je comprend pourquoi ça sent
aussi mauvais à ma droite : une fille qui a visiblement eu une diarrhée non contrôlee le long de sa jambes droite court à notre droite. Je lutte contre la nausée qui s’empare de moi, j’ai
l’estomac qui remonte deux fois dans les dix secondes qui suivent, pas maintenant, non, je refuse, je vais arriver en un seul morceau à l’arrivée, sans encombres, je me tiens à gauche, loin
d’elle, pense à la finnish line.
Marion s’arrête, j’espère qu’elle pourra sortir du parcours sans encombres et en
me tenant aussi loin de la fille à la jambe brune je tourne dans Boylston Street, voici la dernière ligne droite. 700 mètres de sourires et encouragements, il doit y avoir cent mille spectateurs
uniquement sur cette dernière ligne droite Je sais que Tiga doit être dans les parages mais je n’ai pas la force de lever ou tourner la tête, avance aussi rapidos que possible, je
teste un sprint, en vain, je suis drainée, complément vidée.
Tiga réussit à me prendre en photo à ce moment là et se dit qu’il va devoir me récupérer à l’ambulance tellement je ressemblais à plus rien dans ces derniers mètres. J’entends l’haut parleur dire que 11000 sont arrivés, je comprends que j’ai doublé physiquement au moins cinq mille coureurs puisque je suis partie dans le sas 17. Je vois la ligne d’arrivée s’approcher, pour la vague deux c’est à droite pour avoir la photo avec le bon chrono. Les gens devant moi lèvent leur bras, je crois j’ai fait pareil, pas certaine, je regarde la montre officielle mais mon cerveau n’enregistre pas mon temps. Zéro émotion. Autopilote.
Post course
Les secours nous attendent directement sur la ligne d’arrivée, attrapent ceux qui
tombent, bcp sont faibles, personne ne sourit. Je serre les dents, faut pas tomber, une fille du croix rouge s’approche, me demande si ça va, je hoche la tête, et avance d’un pas que je crois
être ferme. Un troupeau de zombies poursuivis par des secouristes avec leur fauteuils roulants rouges.
Cinquante mètres plus loin de l’eau, je descends une bouteille d’un demi litre d'eau immédiatement, suivi par trois gobelets de gatorade bien sucré. Ouf, je revis. Les bénévoles sont adorables, nous remettent encore de l’eau. Arrivée plus loin on me drape dans une couverture de survie – la bénévole fait bien attention que le vent ne l’enlève pas et une deuxième nous pose un bout de scotch pour bien fixer notre manteau argenté. On se laisse faire en leur remerciant, tout penaud. De partout on entend « well done, you are great. Phantastic achievement!» Ils y croient, et nous aussi.
Encore des secouristes qui attendent ceux qui s’effondrent. J’avance, on arrive au « puce contre médailles » j’arrive à défaire mes lacets sans soucis, étonnée que mes jambes me permettent de me plier. D’autres n’y arrivent pas et les bénévoles les assistent à faire et défaire leur lacets. Un coureur me parle gentillement, me demande d’où je viens et dit avec un grand sourire « in the name of everyone here I am honored and happy that you have come from France to run our Marathon » eh ben, ils sont sympa les américains. Le grand moment : je rend la puce et on me remet ma médaille avec un petit speech. Et elle est belle ma médaille, j’ai l’impression que la licorne me fait un clin d’œil au moment de la remise. Encore des secouristes, des bénévoles qui nous tapent dans le dos pour nous encourager.
Direction station de bouffe, on nous remet un grand sac avec des barres, des bagels, encore de l’eau. Je veux mon sac, je caille dans le vent qui s’abat en rafales sur nous. Je retrouve mon bus de bagages sans problème, la bénévole cherche longtemps pour trouver mon sac, le voila. Je mets immédiatement la totale : sous-vêtements de ski, polaire et par-dessus enfin le t-shirt jaune fluo officiel du marathon. Direction hôtel, cette fois ci avec le vent dans le dos, ça aide.
Le post-scriptum
J'ai fini en 3h38min40sec (le chrono veut strictement rien dire et ne peut pas être comparé à une autre course) ; classée 9814eme sur 23162 au départ, 2310e femme sur environ 9432 au départ et 1752e femme dans la classe d’age « open » (18 à 39 ans) sur environ 5093. Le classement est bien meilleur que je n'aurais jamais osé esperer, témoignant de la forte difficulté du parcours et surtout du vent qui a rendu les coureurs de la deuxiéme bien plus lents.
Face à une situation comparable je ne ferais plus de concessions sur mon petit déj et je foncerai davantage dans les côtes.
Et ça fait quoi de vivre un reve de gosse ? ben c'est cool
!
Qui a couru avec moi ? Voici quelques stats :
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